Par la fenêtre
Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?
Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869.
Comme un tableau
Cohabitation
Ecume
Viens. Enfonce tes pieds
Sur le tapis de mousse et d’arméries
Et assieds-toi.
Là où se croisent les chemins d’écumes
Tout au bout de la langue de terre
Face à la mer.
Là où vents d’automne et d’hiver aiment à claquer
Là où brises de printemps et d’été aiment à paresser.
Et à fleur de silence,
Pousse la fenêtre du toit bleu. Immense.
Puis, apprivoise l’infini
Jusqu’au bout de la nuit.
Ecoute
Aime
Vois.
Vois éclater la beauté dans le nuage
Qui s’étire.
Son corps de velours cotonneux
Se pose sur les cils de l’horizon
Qui soupire.
Prends
Prends tout ce que les vents
Des quatre saisons te soufflent.
Leurs grandes ailes
Piquetées de sel
Murmurent qu’il faut parfois partir
Pour un jour revenir.
Là où se croisent les chemins d’écumes
Emmitouflés demain dans leur manteau de brume.
Et n’oublie pas que, face à toi,
Le grand bonhomme de pierre,
Œil de lumière sous sa paupière de verre,
Veille et surveille ton précieux bout de mer.
Nuit et jour.
Toujours.
Et surtout, ne te lasse jamais
De regarder le ciel colorer la peau de l’eau.
Quand il y met du gris
C’est pour faire rire la pluie.
Et si toi, passager du vent,
Tu te trouves là à la croisée de ces deux chemins,
C’est sûrement que tu les connais bien...
Mariette
Au hasard des noms
A rénover
Le vieux bateau
Il est très fatigué contre le courant
Ce vieux et fier bateau, même si pourtant
A force de courage avec le temps
Il a gagné savoir et entraînement.
C’est toujours un même recommencement :
Hisser la voile et puis prendre le vent,
Virer sans chavirer en accélérant,
Affronter creux et vagues vaillamment.
Le vent ne cesse, la voile lentement
Se déchire sous les assauts violents.
Vaincue, elle ne claque plus fièrement,
Ainsi fanée de tant d’acharnements.
Le géant des mers a perdu son aile,
Il ne peux maintenant glisser sans elle.
Une pluie douce vient de l’horizon :
C’est qu’il n’y pas de larmes sans raison !